Trente filles - Susan MINOT
Mercure de France, 2015, 397 p.Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-Pierre Aoustin
Susan Minot a décidé de prendre la forme du roman pour nous raconter une histoire véridique : l’enlèvement d’un groupe important de jeunes filles, élèves d’une institution religieuse, en Ouganda, en 1996. Ces jeunes filles ont été enlevées par un groupe de rebelles, illuminés religieux, La Lord’s Resistance Army. Trente d’entre elles n’ont pu être rendues à la sœur Giulia, venue les secourir. Elles vont donc suivre ces rebelles toujours en mouvement, devenir leurs « femmes », recourir à la violence pour sauver leur peau. Elles parviennent de temps à temps à s’échapper et sont alors prises en charge dans un camp pour se réadapter à une vie « normale » et ensuite revenir dans leur famille. C’est l’histoire en particulier d’Esther qui revient sur son passé avec les rebelles, enlevée à 14 ans, soumise au viol, témoin ou participant à la violence. Elle se confie à Jane, journaliste un peu à la dérive, venue rendre compte de cet enlèvement. On suit donc en parallèle l’histoire d’Esther et le voyage qu’entreprend Jane à partir du Kenya, en compagnie d’européens, reporter, parapentiste, homme d’affaires, un peu désoeuvrés, avec des désirs un peu vains, face à la réalité de la violence que vivent les habitants.
Susan Minot a décidé de se faire le porte-voix d’une histoire terrible et véridique : l’enlèvement de très jeunes filles et garçons pendant près d’une vingtaine d’années ( !), au total près de 30000 soumis aux pires violences et abîmés à vie ! La résonance de cette réalité en Ouganda fait écho à une autre réalité, celle des jeunes lycéennes nigérianes, enlevées il y a un an par Boko Haram. Dans les deux cas, la réalité de leurs vies est insoutenable et la mobilisation des pays occidentaux honteusement faible. Voici un récit que nous propose Susan Minot qui évite les dérapages larmoyants ou voyeurs. Le témoignage d’Esther, avec en contrepoint la vie parfois futile des occidentaux sur le terrain, garde toute sa dignité. Que les voix de ces jeunes filles (femmes ?) soient mieux entendues !